Chronique des jours n°31/

Au jardin

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Le seringat du jardin est certainement le plus beau et le plus parfumé que l’on puisse rencontrer dans le Bocage mayennais, large et massif il monte aussi haut que la maison du voisin ne laissant apparaître du pignon que le carré rouge de la cheminée surmontée de ses deux mitrons de terre cuite. Au dessus : le ciel avec ses ballets d’oiseaux et c’est tout !
Dans l’arbuste les abeilles en grand nombre, butinent à toute berzingue, ignorantes des roses rouges qui passent comme des baisers.

 

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Si vous faites stupidement, comme moi, l’achat par un ordinateur d’une machine à couper l’herbe, elle ne fonctionnera pas et vous devrez trouver un réparateur humain.
Adrien a quatorze ans, élève au Lycée Jacques Prévert de Domfront, il est en stage pour quatre jours dans l’entreprise de mécanique agricole de Désertines et dit vouloir essayer plusieurs métiers afin de choisir le bon.
Le p’tit gars sera Vulcain à la forge ou Jupiter à la foudre, il est joyeux et décidé : « de toute façon, ce sera dans le métal ! »


Chronique des jours n°30 /

Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud ! *

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A Aden encore et dans la Corne de l’Afrique où il voyagea après avoir renoncé à la poésie pour vivre d’explorations, de commerce, de quelques trafics aussi jusqu’à son départ du Harar vers Marseille où il mourut, Arthur Rimbaud clama, dans ses vers et dans ses ses lettres sa curiosité pour la science et sa hâte du progrès. On pourra croire que le musée Arthur Rimbaud de Charleville-Mézières qui vient d’être rénové comble les attentes du poète-voyageur avec ses technologies digitales, ses suspensions sonores et son dispositif muséographique que l’on dira « voyant » et qui peut conduire le visiteur à des postures zutiques.
Mon ami l’écrivain Bernard Noël dit que pour montrer la poésie, l’intériorité vaut mieux que les surfaces.

Les documents originaux de Rimbaud présentés en ce musée sont peu nombreux. Plus que la monstration, c’est la démonstration qui a été retenue, celle de la légende de Rimbaud dans ses vers mêlés couvrant des murs ou tantôt saluée par des oeuvres d’artistes présentées sur fonds rouges dans des vitrines massives et noires nommées « sarcophages ».
Et est absent le désir de Rimbaud, le désir de découvrir ou de lire ses poèmes pour en aimer les bousculements et les terribles émerveillements.

Devant le musée on a fait l’installation de chaises, dossiers tarabiscotés, flambantes d’inox et dont les sièges sont évidés de vers d’Arthur Rimbaud. S’y asseoir ?
« aboli bibelot d’inanité sonore » (Mallarmé)**

Pour quitter Charleville, on peut emprunter la route départementale vers Rethel. Elle est bordée de talus, de champs et de prairies parsemés de grandes fermes ; on traverse des bourgs aux robustes maisons et des forêts sombres des Ardennes. Est-ce ce chemin que le jeune Rimbaud emprunta pour se rendre à Paris la première fois en août 1870 ? On dit qu’il fit le voyage à pied, laissant sa belle et honnie ville natale dont il ne voulut pas, et pour jamais sans doute, qu’elle le retienne.

*Titre du poème de René Char.
** Citation d’un visiteur, relevée dans le livre d’or du musée.


Chronique des jours n°28 /

Idylle printanière

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Dans la serre des milieux arides du Jardin des Plantes de la ville de Nantes, les cactus se pavanent à qui mieux mieux derrière leurs étiquettes, mais après, la campagne ébouriffée de fleurs blanches et de feuilles tendres est autrement piquante. On cligne des yeux et l’idée se prend de comices amoureux*.

*Voir le merveilleux film-enquête de Pasolini « Comizi d’Amore » (1964)

Chronique des jours n°27 /

A Malick Sidibé

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« Le photographe doit être gai » disait Malick Sidibé en 2004 à Mulhouse où nous étions et ce portrait de lui est rare puisqu’il ne sourit pas ici.

Le 22 janvier 1995 était un dimanche gris et froid. Vers midi, Malick a téléphoné à mon atelier de la rue de Pyrénées ; il était dans un hôtel de la rue Pelleport non loin, invité par la Fnac pour une première exposition de ses photographies à Paris. La chambre était triste et presque sans lumière du jour, on l’avait déposé là, dès après son arrivée à l’aéroport, la veille. Ceinturé dans un imperméable trouvé à Bamako, il m’attendait et voulait voir paris. J’ai pris cette photographie de Malick sous la lampe du plafond de la chambre avant que nous sortions.
Au métro il salue d’une poignée de main chaleureuse des femmes peules dans leurs boubous, comme j’étais surpris autant qu’elles il me dit : « mais, ce sont mes soeurs ! « . A la Tour Eiffel, il s’émerveille d’un joueur de cornemuse en kilt : « c’est la musique que je préfère ! « .
Nous avons marché des Champs-Elysées au Centre National de la Photographie qui se trouvait alors rue Berryer. Sur le parquet des salles d’exposition, Malick s’est déchaussé : un parent lui avait prêté des souliers vernis « un peu petits ». Aux oeuvres de Bill Brandt, il a préféré le bestiaire numérique et coloré de Frank Horvat.
A la nuit tombé, nous avons partagé les délices d’un restaurant turc de Belleville et pour finir il prit un bol de café dans mon atelier.
Je lui ai montré quelques-unes de mes photographies de 1971 au Mali, nous avons évoqué deux ou trois souvenirs de cette époque avant le retour à l’hôtel. Malick était curieux, bienveillant, attentif à tout et il y avait en lui une gravité inhabituelle et que je ne lui connu plus par la suite.
C’était la première fois qu’il quittait l’Afrique. Un monde nouveau s’ouvrait à lui qu’il pressentait et qui ne le changerait pas.

Adieu Malick, le photographe doit être gai.


Chronique des jours n°26 /

Observations

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Hier j’ai suspendu au fil de fer la danseuse qui étire sa lessive dans une rue de Nankin. La caméra de vidéo-surveillance dont on voit le reflet dans la vitrine, enregistre en permanence tout ce qui se passe devant ma porte, dans la rue de Nantes et maintenant jusqu’en Chine. Pablo s’occupe de l’arrière, de son copain Céleste, des chats et de la pousse des fleurs avec son gros oeil collé à la fenêtre sur la cour.


Chronique des jours n°25 /

2ème « Nuit debout », place de la République

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Assemblée citoyenne, une femme préférerait « Assemblée humaine » en raison, dit-elle, de la présence possible de « Sans-papiers » qui ne seraient donc pas citoyens.Le micro passe de main en main, seulement quelques minutes pour chacun. On propose des commissions, des organisations, des manifestations. On cite Podémos.
Un jeune homme dit sérieusement qu’il a inventé un slogan : « La Loi Travail on s’en fout, ce qu’on veut c’est pas d’travail du tout ! ». La pluie est arrivée au bout d’une heure, une bruine tenace. Les mains se lèvent moins nombreuses pour voter et ne font plus les marionnettes. Un peu à l’écart un podium à présent plus attractif accueille rappeurs et slameurs.

Au fond de la place, quatre colonnes sombres bien rangées et serrées, absolument silencieuses, avec les yeux baissés, s’avancent pour la Soupe populaire.


Chronique des jours n°24 /

Dylan, Hugo et les messages du vent

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« Tante Gaby » est ma marraine, soeur cadette et survivante de ma mère elle vit en maison de retraite à Rennes.
Avec Ange nous sommes venus lui faire une visite, mon fils a joué et chanté « Blowin’ in the wind ». Gaby était émue, enchantée, et les vents désormais habituels qui soufflent dans sa tête formant des tourbillons de paroles que l’on ne comprend plus, se sont tus durant la chanson. Ange dit que c’est ainsi, que la vieillesse ressemble à l’enfance et que la cohérence des mots est moins utile pour expliquer son propre monde. D’ailleurs a-t-il ajouté, Victor Hugo prétendait que l’on ne devrait pas dire que les gens meurent, mais qu’ils naissent…
En rentrant vers la Mayenne, c’est probablement le fermier qui a jeté la ficelle servant à clore le passage du troupeau à l’heure de la traite. Je pense à Ange qui se serait une nouvelle fois indigné de ce qu’il désigne comme l’exploitation par l’homme de la nature et des animaux et aurait rappelé qu’il faut y mettre fin.
La ficelle agricole en polypropylène, dite ficelle de lieuse, est tombée de la main dans une calligraphie brouillonne et insensée, sauf pour dire peut-être : « Vois comme je suis étrange ! « .
Ce n’est sûrement pas le vent, il n’y en a pas eu aujourd’hui.

PS / Attention, Ange n’est pas un « folk songer », pour découvrir sa dernière vidéo : https://youtu.be/ll30uACwLf0


Chronique des jours n°23 /

Les beaux espoirs

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Vraiment les tulipes auront bien tenu dans le vase depuis plus d’un mois. Il est dit qu’aux premiers pétales tombés le bouquet sera jeté, mais les fleurs ne l’entendent pas ainsi : « Laissez-nous durer encore quatre ou dix jours – les tulipes n’ont pas la connaissance précise du calendrier – nous voulons disparaître, tirer nos langues frisées au printemps venu. » Le Père Jaouen n’a pas attendu la fin de l’hiver pour s’en aller dans ses quatre-vingt-quinze ans après avoir aidé des jeunesses à éclore pour de bon, leur apprenant à naviguer dans les mers des Caraïbes et dans la vie : « Démerdez-vous pour être heureux, les gens attendent votre bonheur ! ».
Michel Jaouen est né à Ouessant et peut-être apparaît-il, alors enfant de neuf ans, au milieu d’autres, à la fin du chef-d’oeuvre « Finis terrae »* que Jean Epstein réalisa sur l’île en 1929. Ou bien c’est une pensée.

* l’image de droite est extraite du film de Jean Epstein


Chronique des jours n°22 /

Le bois de l’étang

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Le bois situé non loin de la maison n’a pas de nom, on ne peut s’y perdre ni jamais perdre son temps à l’étonnement de ses mystères. La découverte, cette fois, est le vieil orme surgit en lisière tel un monstre héroïque : c’est un survivant de la graphiose. Certains champignons et coléoptères se sont associés par bataillons, artistes funestes gravant sous l’écorce les signes noirs de la maladie qui fit disparaître partout le bel arbre, ormeau de son petit nom.