A Malick Sidibé

chronique27

« Le photographe doit être gai » disait Malick Sidibé en 2004 à Mulhouse où nous étions et ce portrait de lui est rare puisqu’il ne sourit pas ici.

Le 22 janvier 1995 était un dimanche gris et froid. Vers midi, Malick a téléphoné à mon atelier de la rue de Pyrénées ; il était dans un hôtel de la rue Pelleport non loin, invité par la Fnac pour une première exposition de ses photographies à Paris. La chambre était triste et presque sans lumière du jour, on l’avait déposé là, dès après son arrivée à l’aéroport, la veille. Ceinturé dans un imperméable trouvé à Bamako, il m’attendait et voulait voir paris. J’ai pris cette photographie de Malick sous la lampe du plafond de la chambre avant que nous sortions.
Au métro il salue d’une poignée de main chaleureuse des femmes peules dans leurs boubous, comme j’étais surpris autant qu’elles il me dit : « mais, ce sont mes soeurs ! « . A la Tour Eiffel, il s’émerveille d’un joueur de cornemuse en kilt : « c’est la musique que je préfère ! « .
Nous avons marché des Champs-Elysées au Centre National de la Photographie qui se trouvait alors rue Berryer. Sur le parquet des salles d’exposition, Malick s’est déchaussé : un parent lui avait prêté des souliers vernis « un peu petits ». Aux oeuvres de Bill Brandt, il a préféré le bestiaire numérique et coloré de Frank Horvat.
A la nuit tombé, nous avons partagé les délices d’un restaurant turc de Belleville et pour finir il prit un bol de café dans mon atelier.
Je lui ai montré quelques-unes de mes photographies de 1971 au Mali, nous avons évoqué deux ou trois souvenirs de cette époque avant le retour à l’hôtel. Malick était curieux, bienveillant, attentif à tout et il y avait en lui une gravité inhabituelle et que je ne lui connu plus par la suite.
C’était la première fois qu’il quittait l’Afrique. Un monde nouveau s’ouvrait à lui qu’il pressentait et qui ne le changerait pas.

Adieu Malick, le photographe doit être gai.